La régénération du cerveau démontrée grâce aux bombes atomiques ?!
Les essais nucléaires atmosphériques réalisés par le passé ont altéré l'environnement et pourraient être à l'origine de cancers.
Ils ne sont pas source de réjouissances. Mais des scientifiques
profitent de leurs effets à leur avantage, et démontrent que le cerveau
humain est capable de se régénérer. © Pierre J., Flickr, cc by sa 2.0
Il faut voir la vie du bon côté. Les essais
nucléaires intenses menés durant les années 1950 et 1960 peuvent se
révéler utiles à la science moderne. En effet, en analysant des
modifications résultant des bombes atomiques américaines et soviétiques,
des chercheurs suédois ont pu mettre fin à un vieux débat scientifique,
en montrant que certains neurones du cerveau humain se renouvelaient quotidiennement.
Le monde comme champ d’expérimentation. La course à
l’armement constatée durant la guerre froide a amené les grandes
puissances militaires de l’époque à développer des bombes atomiques
de plus en plus puissantes. Mais il fallait les tester, pour des
raisons techniques et scientifiques, et pour affirmer son pouvoir. Avant
1963 et le traité d’Interdiction partielle des essais nucléaires, qui
proscrit toute explosion sous-marine et dans l’atmosphère (mais pas souterraine), les multiples bombes nucléaires éprouvées ont modifié l’environnement.
Certains en auraient même payé le prix en développant des cancers.
Cependant, des scientifiques essaient de profiter de ces expériences
passées destructrices pour glaner des informations utiles à la science.
Des chercheurs ont par exemple pu montrer que les coraux faisaient
office de bons traceurs de la radioactivité à l’uranium 236.
Jonas Frisén et ses collègues de l’institut Karolinska de Stockholm ont quant à eux exploité d’autres propriétés des essais nucléaires
pour clore un débat vieux de 15 ans. Grâce à certains effets de la
prolifération des bombes atomiques dans les années 1950 et 1960, ils ont
démontré que les neurones d’une région du cerveau, l’hippocampe, pouvaient se renouveler tout au long de la vie chez l’Homme.
De nouveaux neurones chez l’Homme qui ont fait débat
Pendant longtemps, on a cru que les cellules cérébrales des mammifères
étaient uniquement créées à la naissance et dans les premières années
de la vie, avant de persister et finalement de décliner, le processus de
vieillissement
avançant. Or ce n’est pas le cas : des études chez la souris et le
singe ont montré que ces animaux fabriquaient toujours des neurones dans
l’hippocampe, siège de la mémoire et de l’apprentissage, et le bulbe olfactif, impliqué dans les odeurs.
Quid de l’Homme ? Des scientifiques suédois ont
publié en 1998 une étude qui confirmait la neurogenèse dans l’hippocampe
humain, dans la revue Nature Medicine.
Ceux-ci ont utilisé un traceur appelé bromodéoxyuridine pour mettre en
évidence ce résultat. Or, peu de temps après, ce composé, jugé toxique, a
été interdit. Impossible de reproduire l’expérience et de vérifier
leurs dires. Le débat naissait en même temps que les besoins d'une
confirmation.
Les essais nucléaires : un relargage de carbone 14
Dans cette nouvelle étude, parue dans Cell,
les auteurs ont contourné le problème en n’utilisant aucun marqueur,
mais en se basant sur des propriétés bien connues des spécialistes de la
datation moderne : celles du carbone 14.
Cet isotope
radioactif existe naturellement dans l’atmosphère, à des concentrations
très faibles. Les organismes l’assimilent dans les tissus exactement de
la même façon que le carbone 12, l’isotope stable et ultramajoritaire.
Ainsi, au moment de la division cellulaire et de la formation d’une nouvelle molécule d’ADN, le carbone 14 est intégré à un ratio équivalent à celui de l’atmosphère du moment.
À partir des données établissant les quantités de carbone 14 dans l’atmosphère
à différentes époques, les chercheurs peuvent estimer l’âge de
formation des cellules. Les bombes atomiques ont altéré ces
concentrations : jusqu’en 1963, celles-ci ne cessaient d’augmenter.
Depuis le ralentissement des essais à l’air
libre, ces taux décroissent en continu. Il en va de même dans les
organismes : les cellules les plus âgées présentent des ratios de
carbone 14/carbone 12 plus élevés que celles nouvellement formées.
La neurogenèse dépassée par la neurodégénérescence
Partant de ce principe, les scientifiques ont étudié les cerveaux
de 55 personnes décédées entre 19 et 92 ans. Après des années
d’entraînement et de perfectionnement, les auteurs ont extrait
uniquement les neurones du gyrus denté de l’hippocampe et soumis l’échantillon, après purification de l’ADN,
à un accélérateur de particules afin de mesurer le ratio carbone
14/carbone 12, et donc d’estimer l’ancienneté des cellules cérébrales.
Il s’avère que d’après leur modèle, 1.400 neurones
se formeraient chaque jour à ce niveau précis du cerveau. Sur une année,
1,75 % des neurones
de l’hippocampe seraient ainsi renouvelés. Une confirmation des travaux
antérieurs. Pourtant, au cours de la vie, le nombre total de cellules
nerveuses décline. Chez la souris, cette dégénérescence semble beaucoup
plus marquée que chez l’Homme. A contrario, ces neurones vivraient
beaucoup moins longtemps chez les humains, si bien qu’avec le temps, le
volume hippocampique diminue.
Reste maintenant à déterminer la fonction de ce
processus. Pour certains, cette neurogenèse favorise l’établissement de
nouveaux souvenirs ou permet de mieux classifier des éléments connus. Pour d’autres, c’est un vestige de l’évolution qui nous est inutile. Les poissons, amphibiens, reptiles
ou oiseaux peuvent régénérer l’intégralité de leur cerveau durant leur
vie. Nous non, mais à la différence près que les neurones apparus durant
l’enfance peuvent persister tout au long de la vie. Et ce serait cette
propriété qui nous serait la plus fondamentale, selon les partisans de
cette seconde hypothèse.
0 commentaires :